Titre : Pour quelques fenêtres

Auteur : Philippe Vaillancourt

Date : 25 juillet 2020

 

(Québec, QC) — Encore aujourd’hui je me surprends à fredonner Monde à l’envers, cet ancien succès du Gen Rosso. Il me semble que les paroles programmatiques de la chanson conservent toute leur pertinence malgré les années qui passent. Changer de système et rêver d’une « altra umanità » (autre humanité), pour reprendre le titre de la version originale italienne, « le cœur sans frontière », voilà de quoi susciter l’adhésion.

Je fais partie de ces enfants pratiquement nés dans le mouvement – comme mon épouse d’ailleurs. Le FamilyFest de 1993 et le Supercongrès de 1997, à Rome, résument l’essentiel de mon expérience internationale du mouvement; pour le reste j’en ai une expérience très canadienne, entre les Mariapolis de Kingston, en Ontario, puis de Bromptonville, près de Sherbrooke, et des journées ponctuelles ici et là. Je fuis les Collegamento et ne porte que peu d’attention à ce qui se fait ailleurs, estimant que le défi de l’ancrage culturel reste entier ici.

Voilà que le centenaire de la naissance de Chiara Lubich offre l’occasion de faire le point sur l’état du mouvement qu’elle a lancé, de le situer dans l’histoire et dans notre propre histoire, personnelle ou sociale.

Visionnaire, il est annonciateur dès les années 1940 des courants spirituels, portés par des laïcs, qui seront si importants pour l’Église postconciliaire. Son caractère international le situe dans la droite ligne d’un catholicisme romain en pleine expansion, entre missions et papes globetrotteurs.

Née la même année que Jean-Paul II, Chiara est, comme lui, profondément marquée par l’expérience de la guerre. Leur christologie partage un même souci pour la paix, l’épanouissement des familles et la fraternité intégrés au sein de la vie des nations. Et si cela se manifeste généralement dans la joie, il n’en demeure pas moins que la souffrance occupe une grande place dans leur théologie.

Le XXe siècle n’a pas l’apanage de la souffrance, loin de là. Mais il l’industrialise et l’assujettit à des forces qui, trop souvent, réduisent l’humain à une simple ressource comme une autre dans des expériences de massification et d’anonymisation inédites. Pourtant, Chiara évoque un « homme nouveau », reprenant à son compte l’une des injonctions phares d’un siècle en quête de sens.

Aujourd’hui, le mouvement n’échappe pas à la difficulté de survivre à sa fondatrice, expérience commune de toutes les fondations religieuses articulées autour d’un charisme fort. Pour les Québécois, ce défi se double de celui de l’avenir de l’Église, invitée à prendre un « tournant missionnaire ». Plus qu’un défi administratif et organisationnel, il s’agit dans les deux cas de répondre aux questions de sens de nos contemporains dans un langage – attention, pas qu’un vocabulaire ! – qui soit limpide et franc.

L’unité et la réflexion sur la souffrance, appuyée sur Jésus-abandonné, qui sont les deux grands traits de la spiritualité proposée par les Focolari, détiennent peut-être la clé de l’avenir du christianisme dans une contrée comme la nôtre. Pourquoi ? Car ils constituent une porte d’entrée recevable et saisissable pour parler de résurrection.

Ni l’Église ni la foi chrétienne n’existent pour elles-mêmes : elles existent tant et aussi longtemps que la résurrection continue de s’articuler dans une cosmologie acceptable pour nos sociétés. Or, ce qui fut longtemps un acquis culturel ne l’est plus. La résurrection a cessé d’être une évidence et requiert un effort soutenu pour s’offrir comme réponse, tantôt apaisante, tantôt dérangeante, aux questions de sens qui, elles, sont toujours là.

Plutôt que de se cantonner dans une théorie sur-spiritualisée, ou de se vautrer dans le confort nostalgique des certitudes d’antan, la spiritualité de Chiara Lubich, axée sur le relationnel, permet de constater une étonnante actualisation de plusieurs des paroles de l’Évangile sur l’avènement du Royaume, puisqu’elle va au-devant du monde actuel. Elle ouvre des fenêtres et ose apporter des éléments de réponse aux questions qui logent dans le cœur de chacun.

C’est bien grâce à l’air frais entrant par ces fenêtres que je demeure catholique, à l’aise dans un monde postchrétien, confiant que – comme le stipule la chanson – « l’espérance est en chemin ».

 

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Réflexion offerte à l’occasion du Centenaire de Chiara Lubich, fondatrice du Mouvement des Focolari